Impression 3D et construction, les dernières avancées selon la Chaire Construction 4.0

Que ce soit au niveau de la conception, la production ou les services, l’impression 3D innove et crée de nouvelles opportunités. A Centrale Lille, le Professeur Zoubeir LAFHAJ et son équipe réalisent des recherches dans le cadre de la Chaire Construction 4.0. Le chercheur M. Zaid RABENANTOANDRO vient de soutenir sa thèse sur l’impression 3D en construction en partenariat avec la Dr. Laure DUCOULOMBIER de Bouygues Construction.

Beaucoup d’initiatives font l’actualité depuis 5 ans… où en est l’impression 3D dans le secteur de la construction ?

Zoubeir LAFHAJ (ZL) et Zaid RABENANTOANDRO (ZR) :

Z.LAFHAJ – Z.RABENANTOANDRO – L.DUCOULOMBIER

L’industrie de la construction a toujours été sceptique quant à l’adoption de nouvelles technologies, comme l’automatisation. La dernière technologie qui a changé la donne fût en 1949… l’invention de la grue à tour mobile ! L’histoire a montré que des améliorations significatives peuvent être obtenues en introduisant de nouvelles technologies. Alors que la technologie d’impression 3D est connue depuis les années 80’s, elle a pris un essor significatif à l’entrée du 21e siècle. Au-delà du procédé technique en soi, l’impression 3D est un nouveau concept qui transforme et qui façonne le savoir-faire des utilisateurs et des professionnels.

La fabrication additive (impression 3D) est connue comme un processus de superposition des couches pour fabriquer des objets à partir de données de modèles tridimensionnels (3D), généralement par superpositions de couches. Aujourd’hui, le secteur de la construction entreprend la numérisation de ces opérations de la phase de conception à la phase d’exécution.

Au cours des 20 dernières années, le développement des niches de recherche sur l’impression 3D dans la construction et l’automatisation a prospéré. A l’international, des entreprises telles que Contour Crafting, 3D-P (MIT) aux États-Unis, Winsun en Chine, D-Shape en Italie, CyBe aux Pays-Bas, COBOD au Danemark, Vertico aux Pays-Bas, Apis COR en Russie/États-Unis et XtreeE en France sont apparus. Ces marchés sont essentiellement portés par des projets pilotes, à cause de restrictions sur la réglementation vis-à-vis de l’utilisation de matériau pour l’impression 3D dans la construction. Dans le contexte européen, l’introduction de nouveau matériau ou de nouvelles techniques de construction nécessite l’accompagnement d’organismes normatifs.

Dans cette optique, des défis majeurs et des verrous scientifiques doivent être levés pour l’implémentation de cette technologie dans le secteur de construction, comme :

    • La distribution et la mise en place des matériaux
    • Matériau à développement durable
    • Renforcement structurel
    • Normalisation des matériaux d’impression
    • Modèle économique

Quel rôle joue Centrale Lille dans les projets impression 3D béton ?

ZL et ZR

La Chaire Construction 4.0 est une chaire industrielle de recherche issue en 2018 d’un partenariat entre l’École Centrale de Lille et le partenaire industriel Bouygues Construction, ainsi que des partenaires publics comme l’Europe (via le FEDER), la Région Hauts-de-France et la Métropole européenne de Lille (MEL). La Chaire propose d’être un Hub de la quatrième révolution industrielle (Industrie 4.0), qui, transposée à la construction, devient Construction 4.0. La Chaire relie les principaux acteurs nécessaires à la transition vers la numérisation du secteur de la construction. Durant ces 5 années, plus de 30 chercheurs, doctorants, postdoctorants, stagiaires et étudiants-ingénieurs de Centrale de Lille travaillent conjointement avec des collaborateurs de l’entreprise sur la thématique de la modernisation de la construction, à travers des projets de recherche ambitieux et novateurs.

Les apports scientifiques touchent trois domaines de la construction 4.0 : 

    • Robotisation et automatisation du chantier. Dans cet axe il s’agit de développer les outils d’industrialisation comme la robotisation et l’industrialisation du gros œuvre. Il concerne également l’impression 3D en construction comprenant des recherches sur les matériaux et les têtes d’impression et la mise en œuvre d’un prototype.
    • Optimisation du chantier. Cela concerne la cartographie des processus chantiers en particulier les systèmes d’information de terrain et la conception de chantiers connectés. Les études scientifiques analysent l’impact de la logistique avancée sur les chantiers, modélisent des données par IA et développent les concepts de la construction Lean.
    • Méthodes disruptives pour la construction. Cet axe de recherche complète les deux autres par un travail scientifique sur l’optimisation des procédés, l’inter-opérabilité et l’utilisation de l’IA dans le BIM (Building Information Modelling).

Le projet impression 3D béton fait partie intégrante de l’industrie 4.0. Il propose un modèle pour améliorer l’acte de construire et produire plus intelligemment en tenant compte des nouvelles contraintes du secteur de la construction. L’association de la robotique à la fabrication additive offre de nouvelles opportunités dans le domaine de la construction. Une application de ces deux technologies est l’impression 3D dans la construction. Une étude de cas sur l’utilisation d’un bras robotique avec la fabrication additive a été mise en place à Centrale de Lille.

Le Prof. Zoubeir LAFHAJ propose de nombreuses conférences, séminaires et formations. La conférence annuelle et internationale « ACE workshop » est devenue un point de référence dans le monde de la recherche dans la construction, en offrant une veille sur les meilleures technologies mondiales et des partenariats internationaux de très haut niveau avec des ténors de la construction du futur, en Allemagne, au Danemark, aux pays Bas, en Italie mais aussi aux USA, au Canada, au Japon et en Chine.

Pensez-vous que nous allons dépasser les phases « concepts » pour des applications à grande échelle ?

ZL et ZR

Comme pour toute technologie disruptive, l’innovation doit passer par différentes étapes avant d’atteindre la zone de rupture. Pour l’impression 3D en construction, tout commence en 1995 avec Berokh Khosnevis qui apporte une première preuve du concept en Californie avec Contour Crafting. Depuis une augmentation exponentielle des projets pilotes a été constatée :

    • Maison habitable,
    • Entreprises générales qui s’investissent dans le domaine (Vinci via CONCREATIVE, Bouygues, Weber Saint Gobain – BAM Group)
    • Les produits de deuxième et de troisième génération apparaissent chez les fournisseurs de technologie.
    • D’autres acteurs se positionnent sur des modèles économiques variés, de la préfabrication, service, ventes de machines ou suites de solution : exemples de COBOD (Dk) ou CyBe (Nl), ventes d’imprimantes…
    • Un processus normatif et d’assurance sont en cours de proposition.

Pour le moment, l’impression 3D en construction n’a pas la vocation de se substituer à la construction traditionnelle. Elle vient en complément et deviendra une technologie adaptée à des besoins bien identifiés. Les recherches et les progrès permettent d’affiner le processus de construction afin de donner une place pertinente dans le secteur. Les facteurs clés dans la production de pièces imprimées en 3D restent la certification et les exigences de qualité. L’automatisation du processus constitue un défi majeur. Elle vient pour améliorer la traçabilité, faciliter la reproductibilité et augmenter la productivité.

Laure Ducoulombier (LD)

Nous vivons dans une période où l’impression 3D doit dépasser le stade de la « preuve de concept ». Pour faire cela, il est important de déterminer sur quels cas d’usage elle est déjà compétitive. Certains cas d’usage ont déjà fait leur preuve. On peut mentionner à titre d’exemples:

    • L’impression de regards d’égouts où l’impression 3D permet de produire plus rapidement ces regards, qui sont souvent sur-mesures et donc de réduire le temps d’ouverture des voies publiques.
    • L’impression de coffrage de nœuds de poutre sur-mesures, permettant le clavetage de poutres sur un poteau en une seule phase, et donc avec un gain de temps significatif.
    • L’impression des boîtes de réservation : il s’agit d’éléments de coffrage qui permettent de laisser un vide lors du coulage d’une dalle ou d’un voile pour laisser le passage des différents réseaux électriques, CVC et plomberie après coulage des voiles en béton.

C’est en poursuivant la recherche des bons cas d’usages que l’impression 3D pourra à court terme être couramment utilisée.

L’hybridation technologique est-elle une voie d’avenir ?

ZL et ZR

A l’heure actuelle, le niveau de maturité de l’impression 3D en construction est encore dans la phase « Prototypage ». Les connaissances actuelles de la technologie ne permettent pas encore une impression totale en impression 3D. L’utilisation d’un procédé mixte de construction semble intéressant comme par exemple la fabrication des objets non porteurs, l’élaboration de façades complexes et originales. On peut facilement imaginer que sur le chantier, l’imprimante 3D supprimerait, quelle que soit la complexité des formes, l’étape du coffrage manuel. L’ouvrier spécialisé se transformerait en pilote d’impression 3D de la fabrication des éléments souhaités.

L’imprimante 3D a besoin de superviseurs qui contrôleront le travail de la machine et qui l’alimenteront en matériau. Il faudra aussi des ingénieurs et des techniciens capables de concevoir les plans en 3D du coffrage à construire grâce à un logiciel de CAO. Ce sont donc des nouveaux corps de métier qui devront être créés. Ces emplois seront autant adaptés aux hommes qu’aux femmes, ce qui n’était pas le cas pour le travail de coffreur sur les chantiers, l’emploi des femmes sur un chantier s’élève seulement à 2,6%.

L’impression 3D permet aux concepteurs de traduire des plans époustouflants en prototypes à des coûts plus bas. Ensuite, de nombreux systèmes et méthodes ont été développés dans but de livrer des projets de haute qualité dans un court laps de temps, mais la méthode conventionnelle de coulage du béton persiste et constitue un facteur clé dans le calcul des coûts/bénéfices. Que ce soit pour le béton préfabriqué ou coulé sur place, le temps d’assemblage et le coût du travail restent élevés. En terme de créativité, la technique du coulage du béton dans les coffrages limite les architectes dans diverses géométries en leur imposant le recyclage des coffrages pour réduire les coûts. L’impression 3D promet d’éliminer les restrictions imposées par l’utilisation de coffrage classique en fournissant une haute qualité et une large gamme de géométries de construction dans la durée minimale et d’utiliser des bétons bas carbone.

L’innovation est l’élément déclencheur du processus qui assurera aux entreprises la capacité à stopper la désindustrialisation et les délocalisations et commencer à envisager la relocalisation des activités. La France a des atouts majeurs avec des industriels et des ingénieurs de grands talents qu’elle devrait être capable de mobiliser sur ces projets ambitieux et hautement concurrentiels. Des applications de construction hybride conventionnelle et d’impression 3D promettent de s’imbriquer avec de nouvelles chaînes de valeur de logistique.

LD

La transformation du secteur de la construction passera par sa capacité à s’industrialiser. Pour cela, divers changements sont en cours, dont l’amélioration de nos méthodes (avec l’arrivée de la construction Lean par exemple), la digitalisation de nos process (autour du BIM) et un travail de fond sur nos modes constructifs (davantage de préfabrication et arrivée du modulaire). J’ai la conviction que l’impression 3D aura sa place dans cette transformation aux côtés de ces autres modes constructifs. C’est probablement en passant par une conception rationalisée et standardisée de nos ouvrages (découpés en modules par exemple) que nous arriverons à répondre à la demande de l’important manque de logement tout en faisant baisser les coûts. L’impression 3D sera alors utilisée pour apporter la touche de personnalisation, d’originalité et de singularité qui fera que les bâtiments ne seront pas tous des « boîtes à chaussures » identiques. L’impression 3D et le modulaire seront alors très complémentaires.

Une thèse vient de s’achever… quel était l’objectif ?

ZL et ZR

Cette thèse de doctorat vient compléter des années de recherche sur le domaine :

– Numérisation du secteur de construction
– Matériaux imprimables
– Robotisation de la construction

Cette thèse examine l’utilisation des solutions industrielles existantes pour répondre au besoin de l’impression 3D basée sur l’extrusion dans le secteur de la construction. Dans cette thèse, une étude prospective a été réalisée afin de comprendre l’aspect multidisciplinaire de l’impression 3D. Les principes de la fabrication additive ont été mis en évidence avec ses avantages, ses applications et ses limites. Le processus d’impression 3D a été formalisé en 5 phases distinctes dans la construction. Ainsi, un cadre d’application pour l’impression 3D dans la construction, basé sur la technique d’extrusion, a été proposé. Une approche expérimentale pour l’évaluation de l’imprimabilité a été développée. Elle a consisté en des tests simples à utiliser et une analyse sans dimension pour caractériser l’imprimabilité des matériaux cimentaires à l’aide d’indicateurs spécifiques. Une nouvelle tête d’impression a été conçue sur la base de fonctionnalités d’entrée telles que la possibilité d’activer un matériau inerte qui arrive dans la tête, un contrôle du flux du matériau sortant, la possibilité de durcir le matériau directement à l’extrémité de la tête, un contrôle de la qualité d’impression.

Pourquoi Bouygues s’intéresse aux ouvrages imprimés 3D ?

ZL et ZR

Par rapport à la concurrence, les visions stratégiques des entreprises à court terme ou à long terme pourra faire la différence. En investissant sur le long terme sur la connaissance via des partenariats avec les organismes de recherche, Bouygues peut se positionner par rapport au choix d’acquérir soit une solution clé en mains, soit de sous- traiter à un prestataire de services. Dans l’optique d’avoir ses propres machines, une entreprise peut développer les compétences internes de ses employés et monter en puissance. En fonction de ses besoins, elle aura la capacité d’évaluer le potentiel de la technologie beaucoup plus efficacement.

LD

Il y a 5 ans, nous avons vu ce que cette technologie a apporté à d’autres secteurs comme l’aéronautique ou l’automobile. Nous avons alors cherché à identifier quels pouvaient être ses apports à la construction. Aujourd’hui, la technologie commence à montrer sa pertinence sur quelques cas d’usages. Demain nous pensons qu’elle nous permettra de répondre aux besoins de personnalisation de nos clients, d’apporter davantage de « folie architecturale », sans les surcoûts exorbitants qu’ils peuvent représenter aujourd’hui. Nous espérons également qu’elle permettra de diminuer la quantité de matériau consommée dans la construction, et pourquoi pas d’ouvrir des pistes à l’utilisation de matériaux moins carbonés, participant ainsi à la transition écologique du secteur.

La fabrication additive est-elle une technologie plus respectueuse de l’environnement pour le secteur BTP ?

ZL et ZR

Hod Lipson et Melba Kurman ont identifié 10 principes de base qui illustrent le potentiel de l’impression 3D dans  » Fabricated: The new world of 3D printing « . Ces principes ont été analysés pour le secteur de construction, des chercheurs de part le monde ont théorisés ses avantages pour la construction.

Pour ce qui concerne l’environnement, l’impression 3D a quelques avantages supplémentaires :

Economie d’énergie : l’impression 3D permet de contourner des processus de façonnage ou d’extrusions qui consomment de l’eau, de l’énergie et des frais d’acheminement. Elle serait moins énergivore que les méthodes de fabrication traditionnelle qui nécessitent l’utilisation de nombreuses machines et des matériaux en excès.

Qualité au travail : les ouvriers devraient fournir moins d’efforts physiques et seraient moins exposés à certaines substances telles que la poussière ou autres substances toxiques. La technique est moins bruyante que la méthode traditionnelle.

Recyclage : les matériaux utilisés pour l’impression des bâtiments pourraient être recyclables. Aux USA, des entreprises envisagent l’utilisation de matériaux recyclés pour baisser les coûts de production. Des études plus poussées sont nécessaires à ce stade.

Merci beaucoup à Zoubeir, Zaid et Laure pour vos riches contributions !

> Lire aussi : 3 questions sur l’impression 3D, à Andry Zaïd Rabenantoandro, doctorant au sein de la Chaire Construction 4.0

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